Le 25 avril, la Haute Cour Constitutionnelle contrarie les intentions du Président de la République en émettant un avis défavorable1http://www.hcc.gov.mg/avis/avis-n07-hcc-av-du-25-avril-2019-sur-le-pouvoir-du-president-de-la-republique-de-soumettre-directement-au-peuple-le-vote-dune-loi-constitutionnelle-par-voie-referendaire/ quant à l’organisation d’un référendum sur la question :

« Mba hisian’ny fitsinjarampahefana tena izy sy fampandrosoana ny faritra miainga eny ifitony, ekenao ve ireo fanitsiana ny Lalàmpanorenana ? ».

La haute juridiction rejette la démarche, toutefois il y a peu de risque de se tromper lorsqu’on suppose qu’Ambotsirohitra remettra le projet de révision sur la table dès lors que le parlement sera pleinement en place. L’énoncé de la question met en avant la visée d’une “décentralisation effective”. La démarche nous semble quelque peu malhonnête. 

 

Gouverneurs de région 

Le premier objectif annoncé de la révision constitutionnelle est de réorganiser les collectivités territoriales pour permettre un “fitsinjarampahefana tena izy” ou la fameuse décentralisation effective. Pour ce faire, il a été notamment évoqué la mise en place des régions à travers la nomination d’un gouverneur pour chacune d’elle. Cette orientation est tout à fait contraire à l’objectif annoncé. 

Rappelons que selon la Constitution de 2010, au niveau de la Région, “la fonction exécutive est exercée par un organe dirigé par le Chef de Région élu au suffrage universel” et que “la fonction délibérante est exercée par le Conseil régional dont les membres sont élus au suffrage universel”. À la place, Andry Rajoelina préfère des gouverneurs de région nommés qu’il pourra remplacer à sa guise. Ainsi, selon le pouvoir en place, la décentralisation serait davantage effective si l’exécutif local était dirigé par une personne choisie par le pouvoir central plutôt qu’un élu. En d’autres termes, on nous dit “Pour que vous soyez plus autonomes dans vos régions respectives, on va oublier cette histoire d’élections locales et on va choisir à Tana quelqu’un s’occupera de vous, et tenez, on va appeler ça décentralisation”. 

 

Décentralisation effective et développement local par la suppression du Sénat?

L’autre argument avancé est d’ordre financier. D’une part, le budget du Sénat serait, selon Andry Rajoelina2à défaut de texte, nous nous contenterons des déclarations publiques et de la demande d’avis auprès de la HCC, mieux utilisé s’il était affecté à la construction d’universités et de centrales électriques. Et d’autre part, la révision constitutionnelle permettrait, toujours selon lui, d’allouer un budget aux régions afin qu’elles puissent initier directement le développement à leurs niveaux3https://www.youtube.com/watch?v=eNkncOJbuxM#action=share, c’est le “fampandrosoana ny faritra miainga eny ifitony”. 

D’abord, concernant le budget des collectivités (dont les régions), il n’est nullement besoin de passer par une révision constitutionnelle pour leur affecter les ressources dont elles ont besoin. Ainsi, cet aspect de l’argument n’est pas convaincant. 

Puis, certes, pour ce qui est de la suppression du Sénat, les sénateurs ne nous ont pas prouvé qu’ils étaient indispensables4Théoriquement, le bicamérisme apporte plusieurs avantages dont notamment une meilleure qualité du travail parlementaire du fait de la navette entre les deux chambres. Cependant dans un État unitaire comme le notre, le Sénat est une sophistication constitutionnelle qui relève du gadget. Toutefois, ce qu’il faut dénoncer c’est la question tendancieuse et malhonnête que le référendum prévoit de poser. La suppression n’apporte rien ni à la décentralisation effective ni au développement local. Pire, lorsqu’on se réfère à l’architecture constitutionnelle, la disparition du Sénat enlève une part de pouvoir aux élus locaux.

Un bref rappel s’impose.

Le Sénat et l’Assemblée Nationale forment le parlement qui vote la loi, contrôle l’action du Gouvernement et évalue les politiques publiques5Art 68 Constitution. Les deux institutions faisant globalement le même travail, les “anti-Sénat” peuvent soutenir qu’il n’est nullement nécessaire d’avoir les deux. Cependant il faut savoir que deux institutions ne siègent pas au même titre. Les députés, élus au suffrage direct, représentent la nation. Quant à lui, structurellement, le Sénat émane des collectivités territoriales décentralisées. Elle existe, entre autres, pour les représenter. D’ailleurs, elle comprend, pour deux tiers, des membres élus par un collège électoral constitué d’élus locaux6Selon l’art 80 de la loi organique n°2015 – 007 fixant les règles relatives au fonctionnement du Sénat ainsi qu’aux modalités d’élection et de désignation des Sénateurs de Madagascar, « Le collège électoral comprend : les Maires et les conseillers municipaux ou communaux ; les Chefs de Région et les conseillers régionaux ; le Chef de Province et les conseillers provinciaux. ». Pour l’instant, seuls les maires et les conseillers municipaux ou communaux sont en place.  

Selon l’exposé des motifs de la loi organique 2015 – 00777fixant les règles relatives au fonctionnement du Sénat ainsi qu’aux modalités d’élection et de désignation des Sénateurs de Madagascar, « le Sénat représente les Collectivités Territoriales Décentralisées et les organisations économiques et sociales. À cet effet, il joue un rôle très important en tant que conseiller du Gouvernement en matière de développement économique et social ainsi qu’en matière de décentralisation ». La suppression du Sénat vient ainsi à l’encontre d’un renforcement de la décentralisation étant donné que les collectivités territoriales n’auront plus de représentants dans le parlement. Un paradoxe se révèle ainsi entre le mobile de la révision et ses effets. 

 

Bref

Pour conclure, le débat sur la nécessité ou non d’une Chambre Haute du parlement est intéressant. La question est légitime, toutefois la poser en suggérant que sa suppression tend vers une décentralisation effective est absolument malhonnête. Au contraire, l’existence du Sénat et le mode de scrutin d’une partie des sénateurs sont une reconnaissance de l’importance des collectivités territoriales décentralisées. 

Concernant le sujet relatif aux gouverneurs de région, la révision proposée permet à l’État central d’avoir la main sur l’exécutif local. Si le pouvoir central veut mettre des fonds à la disposition des régions, la Constitution actuelle ne l’en empêche pas du tout. Ce que la Constitution actuelle empêche, c’est la désignation du chef de l’exécutif local par le gouvernement. 

Le président a soulevé deux questions intéressantes qui, maintenant qu’elles sont dans le débat, méritent peut-être d’être posées au peuple. Cependant, elles devraient être présentées comme elles sont : d’une part, une réforme institutionnelle pour permettre une réaffectation budgétaire et, d’autre part, un renforcement du contrôle des régions par l’exécutif central. En tout cas, il ne s’agit absolument pas d’une avancée vers une décentralisation effective.  

 

Notes[+]

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