Le 11 aout 2010, en signant l’ « accord politique d’Ivato », une centaine de partis et d’associations politiques adoubent le Comité Consultatif Constitutionnel dans la mission de rédiger ce qui deviendra la Constitution de la IVe République. Le texte proposé fut adopté le 17 novembre de la même année et promulgué le 11 décembre suivant. L’objectif était de fonder une nouvelle République stable qui passerait enfin l’âge de l’adolescence en écartant les crises majeures mettant cycliquement le pays à genou.

 Huit ans après, à la lumière des récents évènements, au terme de la première mandature présidentielle et à l’approche de la fin de la première législature sous son empire, la Constitution de la IVe République malgache mérite qu’on s’y arrête pour dresser un bilan d’étape. Par ailleurs, on ne résiste pas à la gourmandise de revenir sur l’évolution du rôle de son ultime interprète : la Haute Cour Constitutionnelle.

Appropriation de la Constitution (fait des efforts mais peut mieux faire)

La première observation relève davantage d’une impression que d’une véritable constatation objective. Il s’agit du sentiment que la teneur du texte était, lors de son adoption par voie de référendum, peu connue des électeurs y ayant acquiescé, d’abord, mais également des acteurs de la vie publique qui, jusqu’à aujourd’hui, tâtonnent dans la mise en œuvre des exigences constitutionnelles. Il semble bien que nous apprenions les mécanismes prévus par la Constitution au gré des coquines péripéties et tribulations de ceux qui nous dirigent et de ceux qui voudraient bien nous diriger.

Le peuple malgache s’est, semble-t-il, précipité à adhérer à la toute nouvelle République proposée sans se poser moult questions. Tout comme l’internaute qui clique hâtivement sur « J’accepte » au bas des CGU de Facebook, Twitter, Instagram ou autres, le citoyen malgache a allègrement voté « ENY » sans avoir cherché à jeter un regard intéressé ni même curieux sur ce dans quoi il s’engage et engage son pays. À sa décharge, l’électeur malgache avait devant lui un texte constitutionnel tout neuf qu’on lui disait tout beau et dont l’adoption était présentée comme la panacée nécessaire à son île pour guérir de ce mal infamant qu’est l’extraconstitutionalité.

Aujourd’hui, le débat juridique constitutionnel gagne une frange des citoyens. Dès lors, une appropriation de certains mécanismes précis prévus par le texte s’observe, toutefois elle ne concerne pas l’ensemble de la population et se restreint à des points anecdotiques sans s’intéresser aux fondamentaux de la construction constitutionnelle.

Constitution à la mise en œuvre inachevée, encombrée de gadgets inutiles

Deuxièmement, il se constate une grande difficulté dans la mise en place de certaines collectivités locales et certains organes de l’État prévus par le texte de 2010. Dans des articles précédents, nous avons déjà engagé une discussion quant à la futilité de certains d’entre eux et avons exprimé nos réserves s’agissant du millefeuille administratif découlant de la Loi fondamentale. Pour autant, ils sont prévus et doivent, dès lors, être mis en place. Stulta lex sed lex, la loi est bête mais c’est la loi.

Outre la Haute Cour de Justice dont l’installation n’a pu se faire qu’à grand renfort de menace de destitution, d’autres organes de l’État ou collectivités territoriales, soit, ont eu du mal à voir le jour, soit, connaissent une gestation lente, soit pire, souffrent du manque d’entrain des concepteurs attitrés. On note parmi ceux-là le futile Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l’État de droit qui n’est opérationnel que depuis le mois d’avril de cette année ; le Conseil économique social et culturel, une future bonne planque pour femmes et hommes politiques à recaser ; et les provinces et régions qui attendent toujours les élections qui mettront enfin une personne élue à leur tête.

Le juge constitutionnel et son rôle politique

S’agissant de l’interprète officiel de la Loi fondamentale, une évolution s’est opérée. De terne institution poussiéreuse, la Haute Cour Constitutionnelle passe à un repaire de Super-Saiyans. Un des grands apports de l’actuelle Constitution concerne effectivement le rôle prépondérant qu’elle accorde au juge constitutionnel. Par rapport à ses prédécesseurs, les hauts magistrats actuels acquièrent des fonctions inédites au sein de la République. Outre le texte en soi, le comportement des acteurs politiques et l’orientation des décisions de la Cour elle-même renforcent ce sentiment qu’ils incarnent les Avengers de la République[1].  Parmi ses super-pouvoirs, on retient notamment le contrôle systématique des lois nouvelles et l’interprétation extensive de la loi. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, il faut remarquer également que la Haute Cour Constitutionnelle devient, malgré elle, une salle de presse.

La HCC comme tribune politique

Taper à la porte de la Haute Cour Constitutionnelle devient une activité fréquente des différents acteurs politiques. Une production soutenue d’avis en découle. Les différents chefs d’institution l’utilisent pour désamorcer certaines manœuvres politiques, pour se couvrir ou pour assoir leurs décisions. Le passage devant la Haute Cour est devenu une stratégie de communication efficace d’autant plus que la presse ne hiérarchise pas ou à peine ce qui s’y passe. Le coup marketing le plus invraisemblable vient d’un candidat à la présidentielle qui demande l’avis de la Cour sur un point particulier de son programme qu’il voulait mettre en avant. Coup de com de génie qui offre une énorme visibilité dans les médias pour pas cher.

L’existence d’un contrôle systématique de constitutionnalité des lois avant leur promulgation.

Le premier super-pouvoir réside dans le contrôle systématique qui constitue un travail de titan à plus d’un titre, d’abord parce que cela représente une tâche colossale[2], puis et surtout, parce que le mécanisme donne une formidable stature au juge. En effet, il se place à un niveau qui, en droit comparé et surtout dans l’histoire du pays, a rarement été vu.

En effet, dans le processus législatif, la proposition ou le projet de loi est adopté par le parlement, représentant le peuple pour l’une des chambres et représentant les collectivités territoriales pour l’autre. Une fois adoptée, la loi est promulguée par le Président de la République élu au suffrage universel direct. L’intervention de ces institutions repose sur la légitimité venant directement du peuple. Mais entre les deux étapes se glisse la Cour constitutionnelle qui vient contrôler le travail de ces représentants du peuple sans qu’elle ne bénéficie elle-même de la légitimité des urnes. On pourrait y voir un problème démocratique[3], toutefois, la Constitution adoptée par le peuple prévoit le mécanisme et, ainsi, c’est le peuple lui-même qui désire que les travaux de ses élus soient soumis à ce contrôle. Cependant, il aurait été moins gênant de mettre en place un mécanisme de contrôle a posteriori cantonné au seul cas où la Cour est saisie, soit par des élus, soit par des citoyens dont les intérêts légitimes sont compromis par la loi. Ainsi, il ne s’agirait plus d’un exercice a priori et in abstracto s’apparentant à une tutelle mais d’une procédure visant la préservation des droits constitutionnels initiée par des élus ou des citoyens qui estiment que la loi est, dans son application concrète, contraire à la Constitution. Le dispositif actuel met nos élus dans une position de gamins attendant l’approbation des bons sages de la Cour. Certaines mauvaises langues diront que ce n’est pas si mal, vu que nos élus se comportent en gamin. Certes, mais dans une démocratie, il est préférable que le pouvoir législatif demeure du ressort de gamins élus plutôt que d’une autorité judiciaire, quelle qu’elle soit.

Interprétation extensive de la Constitution et extrapolation du rôle de gardien des Institutions

 Cette appropriation du pouvoir législatif est d’autant plus à craindre lorsqu’à l’occasion du contrôle de constitutionnalité, il est observé dans les motivations des décisions ce que la SeFaFi qualifie de « pures opinions personnelles »[4]. Pire, la technique appliquée par la Cour ne se restreint pas à la seule interprétation négative de la Constitution (identifier ce qui est n’est pas conforme à la Constitution), elle va jusqu’à déclarer une disposition conforme à la Constitution sous réserve d’une modification que la Cour avance elle-même. Les décisions de mai dernier relatives aux lois électorales en sont de parfaits exemples[5]. Elle en arrive ainsi à exercer le pouvoir législatif en produisant certaines dispositions de la loi.

Le pompon étant évidemment la décision du 25 mai relative à la requête en déchéance contre le Président de la République. Tous ceux qui se sentaient l’âme d’un juriste ont eu toutes les raisons de s’offusquer de cette décision qui amèna à ce qui a été dénoncé comme un déni de justice. Pour résumer ce qui a déjà été largement commenté, entre autres par le président de la Cour lui-même[6], la décision constate la réalité des faits reprochés mais ne fait pas application de la sanction prévue par la Constitution car la Cour estime que la mise en œuvre de la sanction va à l’encontre de principes à valeurs constitutionnelles. La question est : peut-elle statuer ainsi ?

Bref rappel, dans un contexte de crise sociopolitique, la décision en question porte sur une requête en déchéance du Président Hery Rajaonarimampianina. La demande se fonde sur la carence du Chef de l’État dans la mise en place de la Haute Cour de Justice qui est une juridiction spéciale dont le défaut d’installation dans un délai de douze mois après l’investiture du Président doit être sanctionné, selon la Constitution, par la déchéance de celui-ci. La Cour constate la carence, mais au lieu de prononcer la déchéance comme l’exige le texte, elle délivre une décision inattendue en plusieurs points. Elle décide, d’abord, que le Président doit mettre fin aux fonctions du Gouvernement et procède à la nomination d’un Premier ministre de consensus, puis, qu’une élection présidentielle anticipée doit être organisée et que, finalement, sa décision ne s’applique que faute d’accord politique dans un délai de dix jours. Ainsi la Cour délivre une décision optionnelle consistant en une feuille de route de sortie de crise. Ce faisant, elle écarte certaines dispositions constitutionnelles, en viole d’autres, et créée ex nihilo des mécanismes ayant vocation à régir certains pans du fonctionnement de l’État.

La violation de la Constitution qu’il perpètre est complètement assumée par le juge constitutionnel qui la justifie en avançant que « les fondements de la République sont fragilisés par une crise sociopolitique et institutionnelle majeure », que « conformément à l’esprit de la Constitution, elle (la Cour) représente l’organe régulateur du fonctionnement des Institutions et de l’activité des pouvoirs publics, notamment lorsque celle-ci est entravée dans l’exercice des attributions qui leur sont conférées par la Constitution par les effets d’une crise politique », et que « cette fonction de régulation, réalisée dans des circonstances exceptionnelles, s’analyse en un recours dans l’intérêt de la Constitution et est dictée par la nécessité de faire respecter l’esprit de la Constitution ». Ainsi, la Haute Cour Constitutionnelle met en avant la préservation de « l’esprit de la Constitution » pour motiver une décision violant la Constitution. Par ailleurs, semblant scrupuleux quant à cette entorse manifeste de la Constitution que constitue sa décision, le juge « encourage les parties prenantes à la crise politique qui prévaut (…) à œuvrer dans les meilleurs délais, de concert et dans un esprit de responsabilité, à trouver une sortie de la crise au sein d’un cadre consensuel dans l’esprit de la consolidation et l’accomplissement de l’État de droit démocratique », ce qui éviterait à la décision inconstitutionnelle de prendre totalement effet.

Dans le cadre d’une République à la fois en construction et en crise, à travers sa « feuille de route », le juge constitutionnel dépasse sa fonction juridictionnelle et prend une nouvelle dimension extraconstitutionnelle. La décision semble efficace en matière de recherche d’apaisement politique, mais elle pose une véritable question quant à sa compatibilité avec la construction républicaine fondée sur le texte fondamental. Le juge constitutionnel doit-il participer à la recherche d’une issue à une crise politique, notamment, en violant la Constitution ? La Haute Cour Constitutionnelle répond clairement par l’affirmative.

Ce qu’on en pense

La principale mission d’une Cour Constitutionnelle consiste à veiller au respect de la Constitution. Elle incarne la noble fonction de « gardien de la Constitution ». Cette responsabilité et les pouvoirs qui l’accompagnent se révèlent d’autant plus formidables qu’ils ne se retrouvent limités que par la Constitution dont la Cour constitue elle-même l’interprète suprême. À ce propos, le juge de la Cour Suprême américaine Charles Evans Hughes disait la petite friandise suivante « We are under a Constitution, but the Constitution is what the judges say it it ». La HCC fait sienne cette approche qui a de quoi enivrer de pouvoir.

Cette toute-puissance théorique de ces super-défenseurs de la Loi fondamentale est toutefois encadrée par les principes d’interprétation constitutionnelle et d’autolimitation que s’impose le juge constitutionnel. Ces principes largement commentés par les spécialistes de la technique constitutionnelle ancrent la démarche du juge dans le cadre de la Constitution en lui permettant d’interpréter le texte pour son application concrète sur des questions déterminées.

Ainsi, le juge ne peut s’écarter de la Constitution, mais jouit d’une certaine liberté d’interprétation pondérant les différents principes et règles mobilisés par le texte. Le principe de proportionnalité qu’on retrouve dans le droit français en est une parfaite illustration. Selon ce principe, l’application d’une règle doit être en adéquation avec le but poursuivi.

Par exemple, si, dans le foyer des Rakoto les parents interdisent la télé entre entre 18h et 20h au motif que c’est l’heure des révisions et des devoirs, la règle ne s’applique pas de la même manière voire pas du tout durant les vacances scolaires. Effectivement, l’objectif de la règle étant d’épater la maîtresse chaque matin, l’exigence de révisions et, davantage, d’accomplissement des devoirs n’a plus, en période de vacances scolaires, le même impact sur l’épatement de la maîtresse le matin.

Mais dans le cas qui nous intéresse, le juge ne peut même pas se réclamer de ce principe. La disposition constitutionnelle visait à favoriser la mise en place de la Haute Cour de Justice, cette exigence impérieuse n’est pondérée par aucune circonstance. Le juge n’interprète pas la Constitution, il ne l’applique pas. Le bricolage reposant sur (attention caricature) « mais je dois protéger la République » et « mais oui mais mes copains Gabonais et Béninois l’ont fait, eux » ne constitue pas réellement un raisonnement juridique valable. Cela dit, par cette décision, la Cour a désamorcé une crise politique partie sur une bonne lancée et qui aurait pu connaître une évolution désastreuse.

 

Pour finir, d’une part, le citoyen que je suis se demande s’il ne doit pas être reconnaissant envers ces Badass de juge qui foutent le Droit en l’air pour sauver le pays. Et de l’autre, l’apprenti juriste que je prétends être ne peut que réprouver la mystification accomplie par la Cour. On peut craindre qu’en justifiant le viol de la Constitution au nom de la sauvegarde de nos institutions, les héros de la République aient créé un précédent fragilisant cette même république qu’ils entendaient préserver.

[1] ou la Justice League, le nom est mieux à propos

[2] par exemple, le 12/07/2018, un article de presse rapporte qu’, « Une dizaine de lois adoptées par les deux Chambres du Parlement figuraient hier au rôle d’audience à Ambohidahy. » http://www.midi-madagasikara.mg/politique/2018/07/12/hcc-la-lfr-2018-soumise-aux-memes-reserves-que-la-loi-de-finances-initiale/

[3] une réserve qu’on retrouve notamment dans le débat du contrôle de constitutionnalité devant le conseil constitutionnel français

[4] https://www.sefafi.mg/main/post/article/318

[5] http://www.hcc.gov.mg/decisions/d3/decision-n17-hcc-d3-du-3-mai-2018-portant-sur-la-loi-organique-n2018-010-relative-a-lelection-des-deputesa-lassemblee-nationale/ , http://www.hcc.gov.mg/decisions/d3/decision-n16-hcc-d3-du-3-mai-2018-portant-sur-la-loi-organique-n2018-009-relative-a-lelection-du-president-de-la-republique/ et http://www.hcc.gov.mg/decisions/d3/decision-n15-hcc-d3-du-3-mai-2018-portant-sur-la-loi-organique-n2018-008-relative-au-regime-general-des-elections-et-des-referendums/

[6] https://www.lexpressmada.com/03/08/2018/jean-eric-rakotoarisoa-il-faut-vraiment-reorganiser-la-societe-politique/

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