Le monde facebook-ien malgache est en ébullition, des photos de profil en arc-en-ciel d’une part et des versets bibliques d’autre part. La décision de la Cour Suprême Américaine du vendredi 26 juin 2015 en est la cause. Comme la conviction emprisonne la pensée et que le débat élève l’esprit1je m’excuse pour cette introduction bateau et un brin paternaliste mais c’est l’humeur du moment qui veut ça, je vous invite à vous départir de vos certitudes pour discuter de cette décision incontestablement historique.  L’arrêt de la Cour Suprême constitue l’épilogue d’une bataille juridique dont les prémices remontent aux années 90.

Defense of Marriage Act

Pour mettre l’arrêt du 26 juin de la Cour Suprême des États-Unis dans son contexte, il faut remonter en 1993 lorsqu’il a été soumis aux juges d’Hawaï la question de savoir si l’impossibilité de contracter un mariage pour un couple homosexuel constituait une discrimination sexuelle2Baehr c/ Miike. Dans la continuité de la problématique posée par le procès, le parlement d’État Hawaïen vote le « Reciprocal Beneficiaries statute », un engagement d’entraide mutuelle et d’attention réciproque auquel peuvent souscrire aussi bien les couples hétérosexuels que les couples homosexuels. Cet acte voisin du mariage, équivalent du PACS français3pacte civil de solidarité, conduisit les plus conservateurs 4qui ne trouvaient pas la solution très catholique  à œuvrer pour l’adoption par le Parlement Américain, en mai 1996, de la Defense Of Marriage Act (DOMA). Il s’agit d’une loi fédérale 5qui s’applique sur tout le territoire des USA définissant le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme. L’article 3 de cette loi fédérale dispose que :

« the word ‘marriage’ means only a legal union between one man and one woman as husband and wife, and the word ‘spouse’ refers only to a person of the opposite sex who is a husband or a wife. »

– le terme «mariage» désigne uniquement une union légale entre un homme et une femme comme mari et femme, et le mot «conjoint» se réfère uniquement à une personne du sexe opposé qui est un mari ou une femme -.

Cette disposition exclut du mariage et de ses effets les couples homosexuels. Victoire du lobby antigay.

Le prélude de 2013 de la Cour Suprême

Mais comme vous le savez, l’histoire ne s’arrête pas là. En 2009, en application de l’article 3 de la DOMA, l’Internal Revenue Service 6le service des impôts ne reconnut pas un mariage homosexuel célébré au Canada et refuse à la veuve résidant à New York l’exonération d’impôts successoraux à laquelle a normalement droit l’époux ou l’épouse survivant (e). En effet, considérant que le mariage entre deux femmes ne peut être admis comme légalement valable, l’administration fiscale américaine refuse de considérer la veuve comme pouvant bénéficier de l’exonération. Saisie de cette affaire, la Cour Suprême Américaine confirme en 2013, dans l’arrêt United States c/ Windsor, la position de quelques Cours d’Appel ayant déclaré l’article 3 de la DOMA inconstitutionnelle. La Haute Juridiction estime que cette disposition, en limitant l’accès à la protection et la responsabilité légales issues du mariage aux couples hétérosexuels, et, en conséquence, en excluant les couples homosexuels, est contraire au Veme amendement qui garantit le traitement équitable des citoyens.

Légalisation

Concomitamment à cela, la légalisation du mariage homosexuel s’opère progressivement dans plusieurs États. Soit à travers les référendums effectués au niveau des États fédérés, soit à travers les décisions des Cours d’Appel qui, jusqu’en novembre 2014, lorsque la question leur a été posée, ont tous déclaré inconstitutionnelle l’exclusion du mariage gay 7http://www.contrepoints.org/2015/01/20/195062-etats-unis-le-mariage-gay-devant-la-cour-supreme). Jusqu’en Avril 2015, trente sept États fédérés et le District de Columbia autorisent le mariage entre personnes du même sexe 8http://www.freedomtomarry.org/states . Cependant le reste refuse d’unir civilement les couples homosexuels et de reconnaître les mariages gay qui ont été célébrés ailleurs.

L’arrêt de la Cour Suprême du 26 juin 2015

Parmi les États refusant le mariage gay se trouvait l’Ohio. Là où a commencé l’épopée de l’affaire Obergerfell c/ Hodges. Lorsque la DOMA fut déclarée inconstitutionnelle par la Cour Suprême, Jim Obergerfell et John Arthur se marièrent dans l’État du Maryland qui autorisait le mariage entre personnes du même sexe. Le 22 octobre 2013, John Arthur décède 9http://www.slate.fr/story/103613/mariage-gay-jim-obergefell. Obergerfell effectue les démarches administratives afin de se voir attribuer le statut d’époux survivant et jouir 10comme il peut des droits qui en découlent. Les procédures qu’il entreprend se voient cependant opposer le refus de l’administration de l’Ohio, État de résidence du couple, de reconnaître la validité de leur union. Il saisit le District Court du District Sud de l’Ohio qui ordonnera à l’Ohio de reconnaître les mariages légalement célébrés dans d’autres juridictions et ce même si l’union n’aurait pas pu être célébrée selon les lois de l’État, refuser la reconnaissance constitue, selon la Cour, une discrimination.

En Appel, l’inconstitutionnalité de l’opposition de l’Ohio au mariage gay fut rejetée au motif que la question du mariage n’a aucunement été prévue par la constitution fédérale et l’ouverture ou non de ce droit aux couples gay demeure dans la compétence des États. Ainsi, une dissension de position naît entre les Cours d’Appel, d’une part celles qui se prononcent pour la légalisation du mariage gay et d’autre part, la Cour d’Appel du sixième circuit qui estime qu’un État peut s’opposer au mariage gay.

Le droit constitutionnel Américain prévoit qu’en de tel cas, la Cour Suprême puisse délivrer un « writ of certiorari ». Derrière cette formule qui en jette 11vous pourrez la ressortir lors d’un dîner, ça fera bon effet  réside la toute puissance de la Cour Suprême. Garante de l’harmonie du système judiciaire fédéral, elle utilise ce moyen pour mettre tout le monde d’accord. En délivrant un writ of certiorari, la Haute Juridiction dit aux Cours d’Appel : « Alors les filles ? C’est quoi ce bordel ! Vous statuez n’importe comment, chacune va où elle veut, tsss, n’importe quoi ! Donnez-moi les dossiers que je vois ».

C’est ainsi que les neuf juges de la Cour Suprême se saisissent de l’Affaire. La suite, vous la connaissez, en se basant sur le XIVeme amendement de la Constitution des États-Unis, les juges de la Cour Suprême obligent les États récalcitrants à autoriser le mariage entre personnes du même sexe et reconnaître les mariages gays célébrés ailleurs. En effet la Cour Suprême estime que refuser ce droit aux couples homosexuels va à l’encontre du principe d’égalité devant la loi édicté par le XIVeme amendement qui dispose en son article premier que :

 « All persons born or naturalized in the United States, and subject to the jurisdiction thereof, are citizens of the United States and of the State wherein they reside. No State shall make or enforce any law which shall abridge the privileges or immunities of citizens of the United States; nor shall any State deprive any person of life, liberty, or property, without due process of law; nor deny to any person within its jurisdiction the equal protection of the laws. »

Toute personne née ou naturalisée aux États-Unis, et soumise à leur juridiction, est citoyen des États-Unis et de l’État dans lequel elle réside. Aucun État ne fera ou n’appliquera de lois qui restreindraient les privilèges ou les immunités des citoyens des États-Unis ; ne privera une personne de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière ; ni ne refusera à quiconque relève de sa juridiction l’égale protection des lois -.

Madagascar

La question de la légalisation n’a jamais été réellement un sujet de débat public à Madagascar. La cause en est que la communauté gay ne semble pas vouloir se battre pour ce droit. Ceci étant, viendra le jour où cette question sera posée à la société malgache et au Droit malgache. Cette décision de la Cour Suprême Américaine est l’occasion de mesurer l’opinion en premier lieu et puis d’initier un débat quant à la place des homosexuels dans le pays. On constate à travers les commentaires et les posts sur les réseaux sociaux que les avis divergent et que le consensus sur le sujet est loin d’être évident à trouver. On remarque une vague d’indignation face à cette légalisation, accompagnée de propos homophobes enrobés de versets bibliques12ou coraniques. Face à cela, j’invite mes amis chrétiens13ou musulmans à faire la part des choses entre la République et l’Église.

Plaidoyer

Les homosexuels, en se mariant civilement, ne portent aucunement atteinte à autrui mais jouissent uniquement de la protection juridique mutuelle découlant du mariage et, plus important, accèdent à une certaine forme de consécration formelle de leur amour. Si l’homosexualité est un péché, à l’inverse du vol ou du meurtre et bien d’autres, il ne concerne que les intéressés. Effectivement, les gays n’imposent à personne d’être homosexuel contre leur gré, ils vivent leur sexualité sans porter de jugement sur la vôtre, une absence de jugement qu’une frange bien pensante vivant dans le bien, du haut de leur conviction, est incapable d’adopter. Ils aspirent, comme vous et moi, à vivre pleinement leur amour, leur sexualité. Si l’homosexualité est un péché, demeurer dans ce péché est leur droit le plus absolu. En ouvrant la possibilité du mariage civil aux couples du même sexe, les États-Unis et bien d’autres avant eux ne font que permettre à des couples qui existent déjà de se constituer en une entité encadrée et protégée par la loi. Il ne s’agit pas de promouvoir l’homosexualité mais de régir ce qui existe déjà.

Lorsque le chrétien s’insurge qu’on bénisse par un mariage religieux un couple homosexuel, je peux  comprendre son indignation. Il peut considérer que ça va à l’encontre de sa foi, contre les convictions que l’église lui a inculquées, et qu’il puisse ainsi être choqué. Il pourra dénoncer le changement de position de l’église qui va à l’encontre des règles qu’elle édicte elle-même. Toutefois, pour ma part, il m’est incroyable que des personnes se réclamant d’une religion d’amour soient aussi intolérantes face à d’autres personnes qui ne demandent qu’à ce qu’on reconnaisse leur amour. Par ailleurs, il me semble que le jugement des hommes n’est pas, selon les préceptes des religions monothéistes, l’apanage de ses semblables mais de la compétence exclusive rationae materae du Créateur.

En outre, il est quand même violent de s’insurger, non pour défendre un droit dont on pourrait être privé, mais pour empêcher autrui d’accéder à un droit dont nous jouissons. La question n’est pas ici d’ouvrir le mariage religieux aux couples homosexuels, c’est un autre débat qui se fait au niveau de chaque religion, le sujet concerne le mariage civil, la république laïque doit s’ingénier à garantir l’égalité de tous en dépassant les considérations religieuses. Les convictions religieuses ne concernent que soi, les mœurs également. Pour expliquer la position de la Cour Suprême, le juge Anthony Kennedy synthétise l’opinion des 5 juges ayant voté pour la légalisation en disant que :

« No union is more profound than marriage, for it embodies the highest ideals of love, fidelity, devotion, sacrifice, and family. In forming a marital union, two people become something greater than once they were. As some of the petitioners in these cases demonstrate, marriage embodies a love that may endure even past death. It would misunderstand these men and women to say they disrespect the idea of marriage. Their plea is that they do respect it, respect it so deeply that they seek to find its fulfillment for themselves. Their hope is not to be condemned to live in loneliness, excluded from one of civilization’s oldest institutions. They ask for equal dignity in the eyes of the law. The Constitution grants them that right. »

 Il n’existe d’union plus profonde que le mariage, car il incarne les idéaux les plus élevés de l’amour, la fidélité, le dévouement, le sacrifice, et la famille. En formant une union conjugale, deux personnes deviennent une entité supérieure à ce qu’ils étaient auparavant. Comme certains des requérants dans ces cas le démontrent, le mariage incarne un amour qui peut survivre à la mort . Ce serait se méprendre sur ces hommes et ces femmes de dire qu’ils trahissent l’idée du mariage. Leur plaidoyer est qu’ils la respectent, respectent si profondément qu’ils cherchent à trouver son accomplissement pour eux-mêmes. Leur espoir est de ne pas être condamnés à vivre dans la solitude, exclus de l’une des plus anciennes institutions de la civilisation. Ils demandent la même dignité aux yeux de la loi. La Constitution leur accorde ce droit -.

Notes[+]

2 réflexions sur “Mariage pour tous?”

  1. Ping : Pourquoi la crise de 2009 était la bonne? | LEXXIKA

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