Qui trop embrasse mal étreint

La démocratie est une notion qui est, à priori, familière à tous. Elle est consacrée de manière quasi universelle comme le meilleur mode de gouvernement possible. Et ce, à tel point que même les despotes et les régimes totalitaires notoires s’en prévalent, d’où les simulacres d’élections qui ne sont démocratiques que de nom ici et là.

La démocratie constitue un fondement capital de la plupart des États. Il en est ainsi de notre pays dont la Constitution consacre ce mode de gouvernement à son article premier comme étant, avec le principe de l’État de droit, « le fondement de la République ». Elle nous semble familière d’abord, car on a tous, un jour, entendu cette formule d’Abraham Lincoln définissant la démocratie comme un gouvernement « of the people, by the people, and for the people » 1discours de Gettysburg.

Deuxièmement, ce semblant de familiarité avec la notion vient du fait que le terme est utilisé à une fréquence telle qu’on la rencontre dans des situations diverses qui ne correspondent pas nécessairement au sens premier du terme.

Par exemple, parler de démocratie lorsqu’il s’agit d’une grève syndicale me paraît inappropriée car cela relève d’une problématique toute autre que celle intéressant la démocratie. En qualifiant d’actions démocratiques les revendications de toute sorte, on dépouille la notion de son sens. Le terme est victime de son succès, car vidé par une utilisation à outrance. En admettant un grand nombre de significations de la démocratie, on a du mal à la cerner et on en a encore plus à l’appliquer. Elle ne doit être invoquée que lorsqu’il en est réellement question. 

La démocratie se confond souvent dans l’esprit d’un grand nombre avec la liberté. Liberté d’expression, liberté de choix, etc (ze tianay io koa, demokrasia nge ty e !). Le fait est qu’il s’agit au contraire d’un acte de soumission ou, plus justement, d’une adhésion sous-entendant l’aliénation d’une partie de la liberté.

La théorie de l’État

En effet, un État démocratique suppose tout d’abord un « État ». Comme il a été traité par ailleurs, l’État tire sa source dans le contrat social. Il s’agit d’un accord par lequel les citoyens, détenant chacun un droit naturel, se constituent en un tout indivisible : le peuple. Ce peuple qui, par la suite, délègue la puissance publique ainsi constituée à une entité formelle qui aura la responsabilité de son bien-être et de sa sécurité : l’État (Léviathan selon Thomas Hobbes).  L’État ainsi dépositaire des droits que chaque citoyen lui a conféré exerce l’autorité au nom du peuple.

Alerte ! analogie douteuse > C’est comme lorsque tous les Power Rangers, citoyens, allient leurs forces et ne font plus qu’un. Ils concrétisent cette mise en commun en formant le Mégazord qui bottera les fesses du gros méchant vilain au nom de tous les Power Rangers.

Inona izany vahoaka?

Pour que Mégazord soit démocratique, Lincoln nous dit que celui-ci doit être un gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. Ainsi avant toute chose faut-il déterminer ce que l’on entend par peuple car ici réside un des points essentiels méritant d’être éclaircis dans l’esprit du malgache.

L’équivalence imparfaite entre les termes utilisés en français, berceau de notre pensée politique actuelle qu’on le veuille ou non, et ceux malgaches induit notre conception en erreur. En effet, on traduit généralement « peuple » par « vahoaka » or ce dernier recèle des nuances selon le contexte de son utilisation. On peut traduire de manière juste « peuple » par « vahoaka » lorsqu’on parle de « la souveraineté du peuple malgache » qu’on peut transcrire en « ny fiandrianan’ny vahoaka malagasy » ; or « vahoaka » n’équivaut aucunement à « peuple » dans « ny vahoaka tonga nijery an’i Rossy tao Antsonjombe» 2 là où son génie est à sa place . Le « vahoaka » dont il est question à l’échelle de l’État démocratique est le peuple qui est une entité indivisible, qui n’existe et n’a de pouvoir que parce qu’il est un tout regroupant l’ensemble des individus. Ainsi, un attroupement, fusse-t-il composé de centaines, de milliers, ou de centaines de milliers de personnes, ne peut se prévaloir des attributs du peuple dès lors que chaque individu composant le peuple n’y est formellement présent ou représenté. 3Toutefois, qu’on soit clair, il n’y a pas d’opposition entre la grève, l’expression d’une opinion conjuguée à une certaine démonstration de force au sein de la société civile, et la démocratie. Une grève, lorsqu’elle est accomplie pour faire valoir des convictions politiques, ne doit avoir d’objet que d’alerter les tenants du pouvoir au sujet d’un désaccord avec les agissements ou les décisions de ces derniers. Il s’agit de faire connaître une opinion et de montrer que cette opinion est partagée par une frange de la population. En cela, elle est compatible avec la démocratie. Si la grève entend déposer les gouvernants désignés par le peuple et installer à leur place d’autres gouvernants, cela est, à l’inverse, indiscutablement incompatible.

C’est sur cette logique que les manifestants du 13 mai, par exemple, ne peuvent représenter que leur propre personne et ne constituent aucunement une représentation du peuple 4ne voyez dans cette phrase aucune position partisane, plusieurs des régimes successifs sont passés par cette place et se sont prévalus d’être issus du peuple . À l’inverse on admet que l’Assemblée nationale exerce ses activités au nom du peuple car nos solombavam-bahoaka nous y représentent à travers le mandat qu’on leur a confié 5quoi qu’on puisse penser d’eux, le mal est fait, il fallait voter mieux que ça .

La souveraineté appartient au peuple ! En l’espèce, en ce qui concerne Madagascar, elle appartient au Vahoaka Malagasy! Et nous, vahoaka malagasy, avons consenti, une nouvelle fois, à nous organiser en État démocratique en votant OUI au référendum du 17 Novembre 2010

Le gouvernement du peuple, par le peuple ou Comment le peuple exerce-t-il son pouvoir ?

On attribue les origines de la démocratie à la Grèce antique. L’étymologie du terme nous y ramène. Demos : peuple , Kratos : pouvoir, autorité. À l’époque, il s’agissait d’une démocratie directe en ce sens que les citoyens prenaient directement part à l’exercice du pouvoir. Les décisions étaient prises de manière collégiale par l’ensemble des citoyens réunis au sein de l’Ecclesia. Dans cette assemblée, chaque citoyen peut intervenir dans le débat et voter sur les décisions soumises à l’Ecclesia.

Imaginez, si on procédait de la sorte actuellement pour voter nos lois et décider des grandes lignes politiques du pays : les 23 millions de malgaches réunis à Mahamasina pour voter la loi de finances 2016. Comme le stade ne peut contenir l’ensemble des citoyens malgaches, on pourrait opter pour le vote qu’on ferait chacun depuis nos fokontany. Mais cela engendrerait des coûts exorbitants si pour chaque décision on organisait des élections. En outre, on ne peut débattre sereinement d’une question si on était 22 millions à donner son avis.

Dès lors, la démocratie directe athénienne de Périclès ne peut être appliquée à l’échelle d’un pays de 590.000 km² et d’une vingtaine de millions d’habitants.

Pourquoi Madagascar n’est pas une démocratie ?

Pour que la démocratie puisse exister en dépit de ses obstacles pratiques, le peuple ne peut exercer son pouvoir qu’à travers des représentants. Dès lors, il ne votera plus pour décider mais votera pour désigner celui qui décidera en son nom. Le peuple élit ceux qui exerceront en son nom son pouvoir. Et si cette délégation de pouvoir n’entrave pas la démocratie quand on sait en désignant le mandataire ce qu’il fera en notre nom, il en est autrement quand on donne un chèque en blanc et qu’on découvre sur le tard ce qu’il fait du pouvoir qu’on lui prête.

Et c’est là que le mécanisme est grippé à Madagascar et que la démocratie laisse place à une farce qui usurpe l’identité de cette démocratie. Au pouvoir du peuple se substitue le pouvoir des lobbys, et les débats idéologiques laissent place aux amusements publics auxquels s’ajoutent quelques paroles démagogiques. En votant aux élections présidentielles, législatives et communales, les citoyens malgaches se sont-ils rendu compte qu’ils désignaient ceux qui agiront en leur nom ? Ceux qui prendront les décisions à leur place ? …

La base de tout : l’éducation

Si nos dirigeants sont mauvais, c’est de la responsabilité du peuple. Toutefois, peut-on tenir rigueur de l’inconscience d’un peuple qui ne conçoit pas que le pouvoir lui appartient en premier lieu, que les dirigeants ne sont pas nos monarques mais nos employés ? C’est cette prise de conscience qu’il faut en premier lieu faire naître auprès des citoyens malgaches. J’estime que c’est sur les bancs de l’école qu’on devrait conscientiser le citoyen en devenir sur son rôle et sa place dans l’État démocratique. Il est capital pour qu’une démocratie soit effective que le citoyen en âge de voter sache qu’en votant, il délègue son droit naturel de décider sur certaines questions à la personne qu’il choisit. Ainsi, il ne choisira pas la personne la plus sympathique, celle qui a donné de jolis t-shirts, celle qui a offert un feu d’artifice ou un concert, ni même celle qui a bâti une entreprise florissante mais la personne qui, selon lui, aura les mêmes idées que lui, les mêmes visions que lui et qui pourra incarner les intérêts qui le concernent.

L’Histoire nous a octroyé la démocratie quand nous réclamions la souveraineté ; et comme nous n’avions pas lutté pour, la démocratie en tant que pouvoir du peuple n’est pas encore gravé dans l’inconscient collectif, ce n’est pas encore un réflexe de notre société de se dire « Je suis le Boss ». Et comme ce n’est ni dans sa culture ni dans son histoire que le peuple malgache pourra puiser les ressources qui lui sont nécessaires pour appréhender la démocratie, il lui faudra apprendre, c’est le grand défi que devra relever notre pays pour les générations actuelles et futures : conscientiser le peuple malgache que c’est de son pays dont il s’agit, qu’il doit s’intéresser aux questions qui touchent son pays et qu’il a un rôle majeur à jouer dans la vie de ce pays en prenant les bonnes décisions lorsqu’il vote.

Que chacun, à son niveau, se pose la question de savoir ce qui est bon pour le pays 6 une fiscalité plus lourde pour que les entreprises participent plus au budget de l’Etat ou moins lourde pour promouvoir les investissements? mettre plus de moyens dans l’éducation primaire ou plutôt dans l’enseignement supérieur ou bien, est-ce que la santé publique passe avant? Privatiser les entreprises d’Etat : Jirama, Air Madagascar, etc ou non? … . Et si vous êtes tenté de penser que ça ne sert à rien d’y penser, dîtes vous que, premièrement, dès qu’il s’agit d’un fananam-panjakana ou d’un harem-pirenena, on parle d’un bien qui vous appartient et que ceux qui gouvernent sont ceux que vous avez engagé pour le gérer et que, deuxièmement, si on devient de plus en plus nombreux à nous soucier de ce qui se passe au niveau de l’Etat, nos politiciens seront bien obligés de se mettre au diapason pour qu’on n’engage pas un autre pour faire le boulot aux prochaines élections. La clé se trouve dans l’éducation du peuple, le reste suivra.

Quand le citoyen malgache sera habitué à s’intéresser à la vie de son pays, nous avancerons vers la démocratie.

Notes[+]

1 réflexion sur “Démocratie à Madagascar : l’impossible quête ?”

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