Ce litige opposant initialement l’assureur Ny Havana et la S.A.R.L. Polo Garments Majunga (PGM) a franchi une nouvelle étape. Les tribulations judiciaires de cette affaire ont donné lieu à l’arrêt du 15 mars 2016 de la Cour d’Appel de Paris annulant la sentence arbitrale CCI condamnant la République de Madagascar à payer 1.000.000 € (voir ici). C’est une longue histoire qui remonte aux évènements de 2009 1je vous la fais courte par paresse et par bienveillance, vous épargnant une trop longue lecture. Je ne voudrais pas abuser de la pause lexxika que vous vous accordez. Bref, bonne lecture.

Les faits

En marge des troubles politiques qu’a connus la Grande Île ayant mené à la Transition, un évènement tragique touche la PGM, une société de droit malgache confectionnant des produits textiles. Cette entreprise détenue conjointement par un investisseur belge et la S.A. DS 2, société luxembourgeoise, détenue, elle aussi, par le même ressortissant du Royaume Belge, subit un pillage avant de se faire incendier. Ces évènements mettant un terme aux activités de la société PGM se déroulent en janvier 2009, concomitamment aux débuts de la crise politique.

Pour récupérer sa mise, PGM se tourne vers la compagnie Ny Havana, son assureur, pour que celle-ci indemnise les pertes subies par la société. L’assureur refuse d’indemniser au motif que les dommages consécutifs à des évènements politiques ne figurent pas parmi les sinistres couverts et que ceux subis par la PGM sont en lien avec le rotaka politique de 2009. Et là commence la fabuleuse épopée judiciaire.

La procédure

La PGM saisit le TPI de Mahajanga en arguant que le sinistre résulte d’un conflit social qui n’avait pas de caractère politique. Si tel était le cas, les dommages seraient couverts par la police d’assurance.  Le juge de première instance accueille les prétentions de la PGM et condamne Ny Havana à payer bonbon (14.337.978.960 Ar soit 5.855.586,25 €) 2décision TPI Mahajanga 20/10/2010.

L’assureur, pas content et, j’imagine, craignant pour sa vie, la condamnation représentant presque le double du capital social de la compagnie d’assurance s’élevant à  7.704.000.000 Ar, interjette appel et fait un coup dans l’eau : la CA Mahajanga confirme la décision du TPI3CA Mahajanga, 04/07/2011. S’ensuit un pourvoi non suspensif, c’est-à-dire que le juge dit à Ny Havana : «  je vais voir ton dossier si tu veux mais pendant ce temps tu passes à la caisse pour payer la facture »4le pourvoi n’est pas suspensif d’exécution selon l’article 33 de la loi organique 2004-036, puis un pourvoi dans l’intérêt de la loi (PIL) initié par le procureur général près la Cour suprême5sur instruction de la ministre de la justice? , suspensif d’exécution6 « Un tel pourvoi suspend l’exécution de la décision attaquée » art 87 Loi organique 2004-036 ; ce qui a fait entendre un grand « Ouf !! » du côté de Ny Havana.

Dès lors, le mécontentement passe de l’autre côté. Et l’aventure judiciaire de cette affaire devient de plus en plus intéressante. Une décision en sa faveur en première instance entre les mains, confirmée en appel, la PGM se retrouve au final dans la situation de fiandrasana an’i Paoly.

Se sentant bien fait pénétrer par le séant à travers le PIL qui renvoie les chances d’indemnisation aux calendes grecques, la PGM estime que l’État protège son petit7 l’État est l’actionnaire majoritaire de Ny Havana et intervient de manière insidieuse dans la procédure judiciaire. Ainsi, la société et ses investisseurs se mettent en tête d’attaquer l’État malagasy, cette mère poule indélicate qui protège Ny Havana à travers ce PIL, manœuvre dilatoire sortie du chapeau au dernier moment.

Comment et sur quel motif juridique attaquer l’État malgache? (de Ny Havana à la République de Madagascar)

Pour attirer les investisseurs étrangers, il est de pratique de leur consentir une certaine protection. Ainsi signe-t-on des traités bi ou multilatéraux de protection des investissements. Tel fut le cas 29 septembre 2005 lorsque l’État Malagasy passe un accord avec l’Union économique belgo-luxembourgeoise concernant l’encouragement et la protection réciproques des investissements. Cet accord prévoit qu’en cas de différend entre le pays hôte de l’investissement et l’investisseur « le différend sera soumis, au choix de l’investisseur, soit, le cas échéant, à l’arbitrage national au sein de l’État où l’investissement a été réalisé, soit à l’arbitrage international ». Le traité permet à l’investisseur, en cas d’arbitrage international, d’opter pour le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) ou la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (CCI).

  • Voilà pour le comment : arbitrage CIRDI ou CCI. Pour mémoire, voir ce qu’est l’arbitrage dans le dernier paragraphe de ce précédent article (en bref, il s’agit d’une justice privée au sein de laquelle on est entendu par des arbitres et non des juges)

Ainsi, la PGM et ses actionnaires belge et luxembourgeois8 souvenez-vous adressent  une requête en arbitrage à la CCI le 8 mars 2013 et attaquent la République de Madagascar. On passe ainsi d’un litige PGM c/ Ny Havana devant les tribunaux étatiques à un autre PGM, investisseur belge et sa société luxembourgeoise c/ République de Madagascar, devant un tribunal arbitral.

Comment dire juridiquement à l’arbitre que je sens que je me suis bien fait infiltrer par le fondement ?

Le même traité du 29 septembre 2005 stipule9un débat qui peut être lancé : si la loi dispose et que le contrat stipule, qu’en est il du traité ? est-ce un contrat entre État ou s’assimile-t-il à un texte législatif que « Tous les investissements effectués par des investisseurs de l’une des Parties contractantes, jouiront, sur le territoire de l’autre Partie contractante, d’un traitement juste et équitable ». La PGM et ses investisseurs estiment avoir été injustement traités dans cette affaire par leur hôte, la République de Madagascar. C’est sur quoi ils basent leur action devant le tribunal arbitral.

Cachan et Arago

En marge de la procédure arbitrale, les demandeurs s’adressent au TGI de Créteil pour que celui-ci autorise la saisie conservatoire des avoirs de l’État malagasy, ce qui fut fait. Les saisies furent autorisées par ordonnances sur requête le 25/02/2013 et 26/03/2013. Parmi les biens concernés par ces décisions, les foyers universitaires de Cachan et d’Arago furent autorisés à être constitués en sûreté et conservation judiciaire de la somme de 7.000.000 euros. Le 24 mai 2013, le juge de l’exécution du TGI créteil déboute la PGM, la SA DS2, et de Sutter et ordonne la mainlevée sur les saisies et hypothèque.

Le 08 janvier 2015, la CA de Paris déclare les comptes bancaires de l’ambassade et du consulat de Madagascar insaisissables mais confirme l’autorisation à prendre une inscription d’hypothèque judiciaire provisoire sur Cachan et Arago. Le juge parisien dit que : « selon le droit international coutumier, les missions diplomatiques des États étrangers bénéficient, pour le fonctionnement de la représentation de l’État accréditaire et les besoins de sa mission de souveraineté, d’une immunité d’exécution autonome à laquelle il ne peut être renoncé que de façon expresse et spéciale ; que cette immunité s’étend, notamment aux fonds déposés sur les comptes bancaires de l’ambassade ou de la mission diplomatique ». D’où l’insaisissabilité des comptes bancaires. Il ajoute que les foyers universitaires « servent à l’accueil et à l’hébergement payant des étudiants malgaches et que la structure d’accueil possède ses propres ressources consistant dans les loyers et cautions, les locations des gîtes d’étape, les frais d’hébergement temporaires, la location de la salle polyvalente, les recettes liées aux activités sportives et culturelles et les dons des anciens usagers et associations ou institutions partenaires », ce qui, selon lui « caractérise une activité de droit privé », ainsi sont-ils dépourvus d’affectation diplomatique et « peuvent faire l’objet d’inscriptions d’hypothèques judiciaires provisoires » pour sûreté et conservation de la somme de 1.000.000 euros.

Le volet Cachan-Arago de cette affaire a suscité un certain émoi que je vous invite à découvrir en faisant une simple recherche « PGM Ny Havana » sur google, ce cher ami qui sait tout. (De vives critiques contre la ministre de la justice et le premier ministre de l’époque accompagnaient les craintes d’une issue tragique pour les étudiants malgaches des foyers .Cela ne nous intéresse pas, pour les curieux, google saura, là encore vous indiquer les liens vers les articles de presse). Mais revenons au million d’euros.

Oui 1.000.000 Euros, Sept fois moins que ce dont il était question auparavant, pourquoi ? Et bien parce qu’entre temps, l’arbitre a rendu une sentence.

La sentence arbitrale

Le 29 août 2014, le tribunal arbitral constate que :

 « le pourvoi  dans  l’intérêt  de  la loi  avait  été  engage  non pour  corriger  une  erreur  d’intérêt  public,  conformément  a  la  loi  malgache,  mais  dans  le  seul  but  de  suspendre  l’exécution  d’une  décision  défavorable  a  une  compagnie  d’assurance  dont  le  capital  était  majoritairement  détenu  par  la  RÉPUBLIQUE  DE  MADAGASCAR »

 et que l’État malagasy a, ainsi, violé l’article 3 de l’accord du 29 septembre 2005. Toutefois, elle rejette les prétentions des demandeurs qui correspondent au montant déterminé par la Cour de 14,3 milliards d’ariary soit 5,2 millions d’euros.

Au lieu de cela, l’arbitre unique condamne le pays à verser 691.233,40 € + intérêts de 6% sur les 5.885.333,02€ prononcés par la justice malgache jusqu’à l’issue du litige ou du moins le retrait du PIL + 82.379€ pour frais d’arbitrage. Ce montant fait office de dommage-intérêts pour le bénéfice que la PGM n’a pu obtenir à cause du PIL contesté. La question relative aux 5,2 millions € étant toujours pendante, l’arbitre estime qu’il n’y a pas lieu de réparer ce qui n’a été commis.

L’épilogue (pour le moment)

Il n’en fallait pas plus à la défense malgache pour opposer un recours en nullité contre la sentence arbitrale. En effet, le tribunal arbitral a substitué la demande des investisseurs pour que leur soit alloué la somme établie par la CA de Mahajanga par un autre montant qui correspond aux bénéfices que la société aurait dû percevoir depuis le PIL, suspensif d’exécution. L’arbitre a statué sur un fondement différent de la demande initiale sans que les parties n’en soient informées et donc, sans que la République de Madagascar n’ait pu se défendre sur cette question.

Dans sa décision du 15 mars 2016, la CA de Paris décèle dans la démarche du tribunal arbitral une entorse au principe de la contradiction et annule la sentence condamnant l’État malagasy10 CA Paris 15/03/2016 RG 14-19164.

Cet arrêt est extrêmement intéressant, car outre qu’il concerne notre cher pays et les foyers de Cachan et d’Arago, l’annulation d’une sentence CCI par la juridiction française est assez rare pour être notée. Le juge français censure ici une décision ne respectant pas le principe du contradictoire. Ainsi, ce n’est pas que l’arbitre se fonde sur autre chose que la demande qui pose problème, c’est le fait qu’il le fasse sans en aviser la défenderesse donc, en ne lui permettant pas de produire une défense. 

Sur cette annulation se termine une nouvelle étape de cette affaire qui n’en finit pas de passer d’une juridiction à une autre. Et nous en sommes pas encore au bout. Affaire à suivre

Notes[+]

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